POUR UN GUIDE

DU COURS DE CONVERSATION

 

Laurence CHEVALIER

Thierry TRUBERT-OUVRARD

© FIPF, 1997

in DIALOGUES ET CULTURE, numéro 41, Actes du IXe Congrès mondial des professeurs de français, Tokyo, Japon 25-31 août 1996, Le français au XXIe siècle, Tracer l'avenir, Cultiver la différence, FIPF, Fédération Internationale des Professeurs de Français, 1997, ISSN 0226-6882.

 

[Ce que le cours de conversation pourrait être] [Approche pragmatique] [Comment et quoi faire ?] [Évaluation] [Conclusion]

Le cours de conversation est un enseignement que nous considérons comme primordial, et non un luxe, il a donc besoin d'être réévalué aux yeux des apprenants mais surtout des départements et écoles de français. De plus, la mondialisation de la communication par l'anglais ou par d'autres langues véhiculaires comme l'espagnol ou même le français pourrait être dans l'avenir un facteur de redistribution des objectifs d'enseignement. En effet il n'est pas insensé de prévoir que les progrès informatiques en traduction et interprétation transformeront les tendances de motivation pour apprendre une langue étrangère, passage de l'utile vers l'agréable. Selon une étude très récente (datant de 1996) du Ministère français de l'Education, le but d'apprendre pour le plaisir, et non plus pour le travail, va grandissant. Chez les apprenants, on constate une volonté de pouvoir utiliser immédiatement leur savoir acquis dans les situations de la vie quotidienne. Le cours de conversation fait partie des enseignements qui répondent à cette attente.

Lors de la première séance, nous avons exposé les besoins d'une définition du cours de conversation, les demandes des apprenants, et essayé de voir ensemble comment il est possible de construire le cours. La deuxième séance a exposé les besoins d'un recueil d'expériences pour assister l'enseignant du cours de conversation et a eu pour fonction de chercher une structure aux idées émises précédemment selon des critères définis ensemble. Nous avons proposé un choix d'activités pour le cours de conversation permettant aux apprenants de mobiliser leurs connaissances linguistiques acquises et de s'initier aux communications verbales et non-verbales.
Nous avons assisté lors de cet atelier à un échange de points de vue et d'expériences entre les participants. Nous souhaitons que ce travail en commun puisse déboucher sur l'élaboration d'un recueil d'expériences du cours de conversation, que nous nous proposons de mener à terme.

I. Ce que le cours de conversation pourrait être.

1) Définition théorique.

Le dictionnaire Robert propose la définition suivante de "conversation" : échange de propos naturel et spontané. Peut-on arriver à cela en cours ? N'y a-t-il pas contradiction entre les mots "cours" et "conversation" ? Un échange de propos naturel et spontané exige une situation qui le soit autant, or le cours peut difficilement prétendre être un lieu où la situation de communication soit naturelle, du moins à chaque heure de cours et pendant toute sa durée. N'est-il donc pas illusoire d'attendre des apprenants qu'ils produisent spontanément une conversation en français dans un contexte qui n'est pas français et donc où l'utilisation du français n'est ni naturelle ni spontanée ? L'objectif du cours serait alors plutôt d'amener les étudiants à ce qu'ils puissent tenir une conversation dans une situation naturelle et réelle, donc hors cours ou extra-scolaire.


2) Quelles sont les compétences mises en jeu dans une conversation ?

Qui dit conversation dit bien sûr communication, celle-ci regroupant en même temps les compétences verbale, culturelle et kinésique. Cette compétence de communication est a priori le but recherché de tout cours de langue se réclamant de l'approche communicative, approche prépondérante dans la didactique des langues. Quelle est donc la spécificité du cours de conversation par rapport aux autres cours de langues, si l'on suppose que les cours de langues fonctionnent selon l'approche communicative ? Nous avons dégagé les points suivants :

- accent sur l'oral (sans pour autant proscrire l'écrit complètement)
- pas de manuel ni d'exercices structuraux
- impératif de mobiliser les acquis (pas de supports écrits pour cela)
- ambiance plus détendue (souvent nécessité de débloquer l'étudiant et de lui faire surmonter sa peur et sa timidité).

Le cours de conversation est un moment privilégié pour s'assurer des acquis des étudiants, leur permettre en même temps une auto-évaluation (= évaluation formative), et pour l'enseignant de se rendre compte des manques et des besoins et donc de modifier/élaborer son programme en fonction.

II. Approche pragmatique

1) La demande des apprenants

Des enquêtes répétées dans les classes nous ont révélé ce que les apprenants attendent du cours de conversation ; nous classons leurs demandes sous deux rubriques : l'acquisition des compétences linguistiques, et celle des compétences culturelles. La première est dominée par une volonté d'avoir accès à d'autres registres de langue que ceux enseignés dans les autres cours (expressions proverbiales, plus familières, ou même gestuelles), ainsi qu'à une approchelexicale thématique souvent déterminée par des projets de séjour dans un pays francophone (les déplacements, les achats et l'alimentation, l'hôtellerie et la restauration, ... et même le langage de l'amour). La demande d'acquisition de compétences culturelles est plus diversifiée même si elle vise beaucoup la communication : elle concerne surtout une connaissance de la vie quotidienne en France (des questions d'actualité au tourisme en passant par la mode, la télévision, la cuisine ou l'éducation) et s'intéresse donc beaucoup moins à la belle culture qu'à la petite culture, c'est-à-dire à des connaissances relevant d'un enseignement moins académique et utilisables immédiatement.
Enfin nous ne croyons pas qu'il faille bannir telle ou telle demande sous prétexte qu'elle concerne directement d'autres cours : par exemple, la littérature contemporaine peut être utilisée comme médium de discussion, mais sous une forme autre que dans un cours classique de littérature ; pas d'étude littéraire mais l'utilisation d'un passage d'une oeuvre en tant que base d'un échange (discussion sur les idées émises, activités sur la langue utilisée, etc.).

2) Du côté de l'enseignant.

Comment situer la demande des étudiants dans la théorie de départ ? Quelles sont les parts à éliminer et celles à ajouter ?

Les étudiants n'ont pas forcément toujours conscience de ce que la conversation et la communication peuvent mettre en jeu. Ils ont souvent tendance à les réduire à l'aspect purement verbal et à se focaliser uniquement sur la compétence linguistique. L'enseignant se doit donc de leur faire prendre conscience que toute communication passe aussi par les gestes, les expressions physionomiques, les images, la voix (intonation, volume). Offrir aux étudiants des occasions de réfléchir sur la manière de communiquer peut donc s'avérer productif et même libérateur pour le cours de conversation. Ainsi, il convient d'insister particulièrement sur l'importance d'une expression et d'une compréhension approximatives, tout-à-fait normales à l'oral, et préciser que l'évaluation prend en compte autant la quantité que la qualité, point sur lequel nous reviendrons plus tard quand nous traiterons l'évaluation du cours.
D'autre part, on a vu qu'il existe une forte demande des étudiants de traiter de sujets culturels, demande qui ne peut être complètement satisfaite dans le cadre du cours de conversation. En effet, cette demande implique apparemment une attente plutôt passive de la part des étudiants : que l'enseignant leur parle de thèmes culturels donnés. Le danger est bien entendu de glisser rapidement vers le cours magistral. Cette demande émane sans doute du fait que le cours de civilisationtraite de sujets académiques et que les étudiants voient par conséquent dans le cours de conversation, plus proche d'une réalité quotidienne, l'occasion d'en savoir plus sur les modes de vie et les rites sociaux. Comme nous l'avons souligné avant, l'activité communicative met aussi en jeu des éléments culturels. Ceux-ci peuvent donc être traités dans le cours de conversation, mais sans qu'ils en soient l'unique objet puisque ce rôle revient au cours de civilisation. L'utilisation de documents authentiques, par exemple, permet d'introduire certains traits culturels, mais qui restent intégrés dans une activité communicative.

Enfin reste à définir le statut de l'enseignant de conversation. S'il se définit simplement comme un animateur, la partie des apprenants réticente aux jeux perdra tout intérêt pour le cours. Une décontraction excessive est agaçante pour l'apprenant et inhibe l'objectif de l'étude qui doit rester au niveau du conscient. L'enseignant pourrait néanmoins se poser non pas comme un puits de science que l'on écoute mais comme un médium entre l'apprenant et la langue étrangère en échangeant sa connaissance avec lui, un mobilisateur des connaissances de l'apprenant.

III. Comment et quoi faire ?

1) Nous avons analysé les différentes conditions du cours de conversation, selon les apprenants (personnalités et ambiance de la classe, culture, nombre et niveau d'apprentissage), l'enseignant (sa personnalité), et la salle de classe.
-
culture : selon la culture des apprenants, on rencontrera des difficultés spécifiques sur lesquelles il faudra travailler. Dans le cas du Japon, les étudiants ont très peu l'habitude de s'exprimer oralement et spontanément pendant les cours. Par exemple, si l'on pose une question ouverte à toute la classe, il y a peu de chances que quelqu'un ose se mettre en avant pour prendre la parole. De même ils rechignent à exprimer leur opinion personnelle en public. D'autre part, un travail sur le volume de la voix est quelquefois indispensable : les étudiants parlent si bas qu'il est impossible de les entendre.
-
nombre : l'idéal est bien sûr d'avoir une classe peu nombreuse, ne dépassant pas la quinzaine d'étudiants. Dans le cas de classes plus nombreuses, on peut adopter systématiquement le travail en groupes. Cependant, peut-on encore parler de cours de conversation avec une classe de trente ?
-
niveau des apprenants : les activités créatives et imaginatives seront plus satisfaisantes chez les étudiants de niveau moyen et avancé que chez les faux débutants qui préféreront les activités ludiques, celles-ci demandant une activitélinguistique limitée.
-
personnalité de l'enseignant : l'approche communicative, avec son souci de centration sur l'apprenant, a tendance à laisser complètement de côté les désirs et les goûts de l'enseignant. Or ceux-ci sont quand même à prendre en compte. Il peut y avoir des activités, par exemple des jeux ou des exercices sur les mimiques, que l'enseignant ne se sent pas de faire, même s'ils sont bénéfiques pour les étudiants.

D'autre part, la personnalité de l'enseignant elle-même peut aussi jouer le rôle de déclencheur de communication : les étudiants peuvent être intrigués par l'enseignant et chercher à le connaître mieux. Ceci peut amener des discussions de type intimiste, source de motivation favorisant la communication. Dans ce cas d'ailleurs, celle-ci peut souvent déborder le cadre du cours (les étudiants viennent dans le bureau juste pour bavarder un peu et poser des questions personnelles).
-
salle de classe : la disposition des tables dans la classe joue, on le sait, un rôle non négligeable dans l'échange communicatif. Une disposition en U ou en rond facilite le croisement des regards et la communication.

2) Exemples d'activités : nous avons procédé à un tour de table pour que chaque participant puisse exposer ses expériences personnelles ; nous mêmes avons présenté en détail quelques activités de cours de conversation.

IV. Évaluation

Le problème de l'évaluation dans le cours de conversation est celui plus général de l'évaluation de l'oral. En ce qui concerne l'évaluation hebdomadaire en classe, des grilles ont souvent été proposées, très complètes, même trop complètes car elles prenaient en compte un nombre infini de critères qu'il est dans la pratique impossible de remplir pendant le cours. Pour notre part, nous nous en tenons au système des petites croix pour apprécier la participation au cours du point de vue de sa quantité (nombre de prises de parole), et avons recours à une notation lettrée (A,B,C) pour évaluer la qualité de la prise de parole. Ce système permet de ne pas pénaliser les étudiants dont la compétence linguistique est moyenne ou faible mais qui participent réellement au cours.
Cependant, cette notation ne peut être totalement satisfaisante au vu de la complexité de la production orale. Le système de grille évoqué précédemment nous paraît intéressant, seule son application pratique faisant défaut. Peut-être qu'une utilisation différente résoudrait ce problème : les grilles pourraient être remplies par les apprenants eux-mêmes à chaque fin de cours, ce qui permettrait du mêmecoup une auto-évaluation. Voici la grille que nous suggérons pour cela :


Dates


Nombre de prises de paroles


Nombre de fois où vous avez voulu parler sans succès


Compréhension orale

- de 25%
25 à 50%
50 à 75%
+ de 75%
- de 25%
25 à 50%
50 à 75%
+ de 75%
- de 25%
25 à 50%
50 à 75%
+ de 75%
Passez-vous par votre langue maternelle avant de parler en français ? oui/non oui/non oui/non
Préparez-vous vos phrases avant de parler ? oui/non oui/non oui/non

Parvenez-vous à exprimer tout ce que vous voulez dire pendant votre temps de parole ?
- de 25%
25 à 50%
50 à 75%
+ de 75%
-de 25%
25 à 50%
50 à 75%
+ de 75%
- de 25%
25 à 50%
50 à 75%
+ de 75%

Cette grille n'est pas destinée à déboucher sur une notation quelconque, mais peut aider l'enseignant à mieux repérer les difficultés des étudiants. Par exemple, un étudiant ne prenant pratiquement jamais la parole mais ayant inscrit qu'il voulait la prendre plusieurs fois sans succès a peut-être du mal à surmonter sa timidité ou est moins rapide que les autres. Il conviendra alors de lui donner plus d'occasions de s'exprimer. Cette formule permet à l'apprenant à la personnalité renfermée d'être moins pénalisé. Cette grille pourra être ramassée par l'enseignant une fois par mois pour juger de la progression et des difficultés des étudiants et voir si elle s'accorde avec l'évaluation effectuée par l'enseignant en croix et notes.
En ce qui concerne l'évaluation de fin de semestre ou d'année (si elle est désirée voir même requise), nous ne voyons guère d'autres moyens que le test oral. Un écueil important est à éviter : celui de l'écrit oralisé. On constate que tel est souvent le cas lorsqu'on donne une petite préparation à faire, pour un jeu de rôle par exemple. Suivant le temps dont on dispose, le test oral peut se faireindividuellement (utiliser un prompteur visuel, verbal ou non, pour déclencher une conversation entre l'enseignant et l'étudiant) ou par groupes de deux (faire faire un sketch ou un mini jeu de rôle dont le sujet n'est révélé qu'au début du test, mais qui a rapport avec ce qui s'est fait en cours).

V. Projet d'un recueil d'expériences et Conclusion

Nous avons discuté du besoin d'un support pour le cours de conversation et de la forme qu'il pourrait prendre, selon des critères mis en commun. Pour ce faire nous avons analysé les ouvrages déjà existants, et soulevé leurs qualités comme leurs défauts, et les manques à pallier.

En conclusion de la discussion générale entre les participants, nous avons noté qu'un ouvrage méthodologique général s'avérerait d'un usage restreint, en raison de la variété des conditions d'enseignement du cours de conversation. En revanche, un recueil analytique d'expériences et de points de vue différents répondrait mieux à une demande plurielle et d'horizons divers.*

 

* Ces pages ont été inspirées à leurs auteurs par un double atelier qu'ils ont animé à l'Université Keio à Tokyo le 29 août 1996, dans le cadre du IXème Congrès Mondial de la Fédération Internationale des Professeurs de Français.

 

BIBLIOGRAPHIE

CARÉ (J.-M.) et DEBYSER (F.) : Jeu, langage et créativité, Hachette, Paris, 1991.

CHARAUDEAU (Patrick) : Grammaire du sens et de l'expression, Hachette, 1992.

DISSON (Agnès) : Pour une approche communicative dans l'enseignement du français au Japon, Presses Universitaires d'Osaka, 1996.

WEISS (François) : Jeux et activités communicatives dans la classe de langue, Hachette, Paris, 1983.

YAICHE (Francis) : Les Simulations globales, mode d'emploi, Hachette F.L.E., Paris, 1996.